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Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/310

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depuis quatorze ans. — Ton frère ? Mais tu ne m’as jamais parlé de cela, reprit avec précipitation mon oncle Tobie. Trim, comment cela est-il arrivé ? Ah ! Monsieur, cette histoire vous feroit saigner le cœur. — C’est l’affliction de ma vie. Mais elle est trop longue pour vous la raconter à présent ; je vous la dirai quelque jour que nous travaillerons au boulingrin. — Je puis pourtant vous la dire en abrégé. — C’est à Lisbonne, Monsieur. Mon frère Thomas y étoit passé. Il servoit un négociant. Il devint amoureux de la veuve d’un Juif et l’épousa. Chacun fait ce qu’il peut dans ce monde ; ils se mirent à vendre du boudin et des saucisses. Hélas ! une nuit qu’ils dormoient tranquillement à côté l’un de l’autre, on vint les enlever, et on les traîna dans les prisons de l’inquisition avec deux petits enfans. — Que le bon Dieu ait pitié de lui ! s’écria Trim en soupirant. — Ils y sont encore. C’étoit le meilleur garçon, continua Trim en tirant son mouchoir de sa poche, qui ait jamais existé.

Les larmes gagnèrent si fort Trim, qu’il mouilla dans un instant son mouchoir en les essuyant. — Un silence morne régna quelques minutes dans la salle : le sentiment de la compassion y avoit pénétré.