Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/439

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nous y fassions des observations attentives, nous apercevrons, frère Tobie, que pendant que nous causons ensemble, et que tu fumes ta pipe et moi la mienne, ou que tandis que notre esprit reçoit successivement des idées, nous nous appercevrons, dis-je, que nous existons ; et si nous apprécions notre existence ou la continuité de notre existence, ou toute autre chose qui puisse se comparer et s’adapter à la succession de nos idées, alors la durée et de nous-mêmes et de toute autre chose co-existante avec notre pensée…

Vous m’embarrassez à la mort, s’écria mon oncle Tobie. —

Et voilà précisément, reprit mon père, le mauvais effet de la maudite manière que nous avons de calculer le temps. Nous sommes si accoutumés aux minutes, aux heures, aux jours, aux semaines, aux mois ; nous nous fions tellement aux montres, aux pendules, aux horloges, pour nous en mesurer les parcelles, qu’il arrivera quelque jour que la succession de nos idées ne nous sera d’aucune utilité. Je voudrois qu’il n’y eût pas une de ces machines dans tout le royaume.

Mais, au reste, reprit mon père, soit que nous l’observions, ou que nous ne l’observions pas, il y a dans chaque son qui frappe l’oreille