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Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/448

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Je sens que les fibres trop tendues de mon cerveau se rompent, il se remplit de vertiges, mes esprits se dissipent, mes yeux se couvrent. Tout s’éteint. Je meurs… je finis… Au secours, au secours, à moi ! grâces au ciel, je reprends mes sens, et peu à-peu je redeviens quelque chose. Cela va toujours mieux, et j’en conçois, pour premier augure, que nous continuerons d’être tous des esprits rares et sublimes. — Ô bonheur !

Mais en est-il de parfait ? j’entrevois mille choses qui viendront l’altérer. Avec tant d’esprit, nous ne pourrons jamais être d’accord un jour entier. On ne verra que satyres, que sarcasmes. La critique sera déchirante. Les railleries, les propos, les épigrammes, les ripostes, les pointes s’aiguiseront et voleront de tous côtés. La jalousie, l’envie, décocheront leurs traits les plus aigus… Chastes étoiles ! les égratignures les plus légères deviendront des blessures envenimées et profondes.

Heureusement que j’ai demandé en même temps, que nous fussions des gens sages, d’un jugement sain, d’un sens rassis. J’ai beaucoup de confiance dans ce correctif. Nous nous détesterons : nous serons polis, honnêtes ; le lait et le miel couleront de nos