Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/487

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CHAPITRE LI.

Mon propre désespoir.


Depuis le premier moment que je me suis assis pour écrire ma vie pour l’amusement du public, et mes opinions pour son instruction, un nuage s’est insensiblement épaissi sur la tête de mon père. Un torrent de petits maux et de petits chagrins s’est déchaîné contre lui ; ce n’est pas une seule chose, comme il l’a observé lui-même, qui a contrarié ses idées. Tout s’y est opposé, tout les a traversées, et l’orage est enfin fondu sur lui.

Je n’entre à présent dans cette partie de mon histoire qu’avec les idées les plus mélancoliques dont un cœur sympathique puisse être affecté. Mes fibres se relâchent. Je sens à chaque ligne que j’écris un abattement, une foiblesse qui à peine me permet de continuer. La vitesse de mon pouls se rallentit, et cette gaieté si vive, qui chaque jour de ma vie m’excitoit à dire, ou à écrire mille et mille choses plus ou moins saillantes, est presque entièrement disparue. Je viens de m’apercevoir que je n’avois trempé ma plume dans