Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/62

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voilà dorénavant à veiller soigneusement mes actions et mes paroles.

L’opinion de quelques hommes privilégiés me rendoit peu à peu ma confiance. J’essayois une seconde fois mon expérience ; j’étois repoussé vers les plus mortifiantes réflexions, et je cuirassois mon cœur contre l’impression du malheur des autres.

Que le monde rie de la sensibilité comme d’une foiblesse ! que la philosophie stoïque la ridiculise ! mais qu’un esprit délicat se garde bien de la concentrer, pour paroître sage aux yeux du public ; qu’il évite d’affecter un caractère au-dessus de la nature humaine, en imitant ceux qui quelquefois sont au-dessous d’elle.

Je me rappelle une scène bien singulière que nous donna jadis un écolier de Cambridge. Il étoit devenu éperdument amoureux de sa sœur ; et son désespoir, ainsi que sa passion, étoient des preuves de sa raison et de sa vertu.

« Junon, nous disoit-il, n’étoit-elle pas la sœur et la femme de Jupiter ? Adam et Ève étoient sûrement plus proches parens ensemble. Leurs enfans, du moins, étoient frères et sœurs, et ils se marioient. Amnon n’étoit-il pas l’époux de Thamar ? Ou,