Page:Sterne - Œuvres complètes, t3-4, 1803, Bastien.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dis-je encore à moi-même, ressouviens-toi que tu es homme. »

Mon oncle Tobie ne s’aperçut pas que ce dernier paragraphe étoit l’extrait d’une lettre, que Servius Sulpicius écrivoit à Cicéron, pour le consoler de la mort de sa fille. — Mon bon oncle étoit aussi peu versé dans les fragmens de l’antiquité, que dans toute autre branche de littérature ; — et comme mon père, dans le temps de son commerce de Turquie, avoit fait trois ou quatre voyages au Levant, mon oncle Tobie conclut tout naturellement qu’il avoit poussé ses courses jusqu’en Asie par l’Archipel ; et de-là sa traversée d’Égine à Mégare, et le reste.

Cette conjecture n’avoit rien d’étrange, et tous les jours un critique entreprenant bâtit de bien d’autres histoires sur de pires fondemens. — « Et je vous prie, frère, dit mon oncle Tobie, quand mon père eut fini, — je vous prie, dit-il, en appuyant le bout de sa pipe sur la main de mon père ; — en quelle année de notre Seigneur cela s’est-il passé ? Innocent ! dit mon père, c’étoit quarante ans avant Jésus-Christ. »

Mon oncle Tobie n’avoit que deux suppositions à faire, ou que son frère étoit le juif errant, ou que le malheur avoit dérangé sa