Page:Sterne - Œuvres complètes, t3-4, 1803, Bastien.djvu/513

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Pendant mes voyages j’avois la tête remplie des amours de mon oncle Tobie. C’étoit comme si j’eusse été amoureux moi-même. — J’étois dans un état parfait de bonté et de bienveillance ; à chaque mouvement de ma chaise je sentois en moi la vibration délicieuse de la plus douce harmonie. Il m’étoit indifférent que la route fût unie ou raboteuse ; tout ce que je voyois, tout ce que j’entendois, touchoit toujours quelque ressort secret de sentiment ou de plaisir. —

Un soir ; — c’étoit les plus doux sons que j’eusse jamais entendus. — Je baissai ma glace pour les mieux entendre. « C’est Marie[1], me dit le postillon, observant que j’écoutois. — Pauvre Marie, continua-t-il, en se penchant de côté, parce que son corps m’empêchoit de la voir ! Elle est assise sur un banc, jouant son hymne du soir sur son chalumeau, et sa petite chèvre à côté d’elle.

En me parlant de Marie, le postillon avoit

  1. Dans la traduction du Voyage Sentimental, le traducteur a changé le nom de Marie en celui de Juliette ; il a transporté la scène de Moulins à Amboise. On a conservé à la pauvre Marie son nom et son pays, que Sterne appelle dans son Voyage Sentimental, la plus douce partie de la France. (Note de l’éditeur).