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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/139

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PIERRE SOUCI DIT VA-DE-BONCŒUR.

à la redingote bleue, en tête, causant familièrement avec le chef d’escouade et Pierre formant la queue avec l’ignoble individu presque sans chemise. Il traversa ainsi une partie de la ville, n’osant jeter les yeux sur son étrange compagnon dont la démarche mal assurée et chancelante trahissait l’affreuse habitude. De temps à autre, quand le misérable décrivait un zigzag trop prononcé, le bâton d’un argousin le repoussait brutalement dans les rangs, et Pierre entendait alors, avec horreur et dégoût, son voisin titubant, murmurer d’odieux blasphèmes en grinçant des dents. Enfin, on arriva au Palais de Justice. La salle d’audience était pleine de cette foule oisive et déguenillée, suant le vice et le brandy, auditoire ordinaire de ces représentations quotidiennes.

Quand ce fut au tour de Pierre de comparaître devant le Juge, il raconta d’une voix émue qui dissimulait mal sa douloureuse indignation, sa triste mésaventure de la veille. Malheureusement, ses gestes véhéments, et les déplorables barbarismes dont il émaillait sa narration anglaise, ne firent qu’exciter la stupéfaction de Son Honneur, et le fou-rire de l’ignoble galerie. L’homme à la redingote bleue expliqua à son tour, au milieu d’un profond silence, qu’il était innocent comme l’enfant qui vient de naître, et que si quelqu’un avait le droit de se plaindre, c’était bien lui, victime d’une attaque injustifiable et non provoquée. Après quelques pourparlers entre les deux argousins qui avaient opéré l’arrestation et Son Honneur le Juge, ce dernier demanda à Pierre s’il avait des témoins, et les moyens de fournir caution. Pierre répondit douloureusement que non. Dans ce cas, continua le Juge, il faut attendre en prison que l’affaire s’instruise ; et la séance fut levée.