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PIERRE SOUCI DIT VA-DE-BONCŒUR
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mains en guise de verre, se rappellant, grâce à ses souvenirs classiques, que Diogène avait jeté au loin une écuelle de bois, le seul ustensile meublant qu’il possédât, parce qu’il avait vu un jour un enfant buvant dans le creux de sa main, et qu’il croyait indigne d’un sage, et surtout d’un philosophe cynique, de recevoir des leçons d’économie domestique d’un simple galopin.

Neuf heures sonnaient quand le géôlier vint ouvrir la porte. Pierre qui avait passé le temps, pour tromper son impatience, à improviser vingt discours pathétiques et persuasifs qu’il croyait susceptibles d’attendrir le juge le plus rébarbatif et de confondre l’homme à la redingote bleue, ne se fit pas prier pour sortir, et suivit son introducteur dans la pièce où il avait comparu la veille. Elle était remplie, en ce moment, d’agents de police, et d’une dizaine d’individus à figure sinistre ou avinée, porteurs d’habits fripés ou en loques. L’un d’eux surtout était repoussant. Il n’avait plus, pour tout vêtement, qu’un pantalon maculé de boue, dont les jambes se prenaient dans des bottes éculées et qu’une seule bretelle passée en travers sur sa poitrine empêchait de tomber à terre. Un feutre multicolore défoncé, bossélé, déchiré, couvrait en partie sa figure hideuse, empourprée de taches d’un sang noirâtre dont les caillots s’étaient arrêtés dans sa barbe épaisse, inculte et rousse.

Évidemment on n’attendait plus que Pierre. À peine fut il entré que les argousins placèrent leurs prisonniers deux par deux, bousculant celui-ci, frappant celui-là ; et le cortège se mit en marche, l’homme