passé un mauvais hiver, et pour achever ce portrait peu flatteur, ajoutons encore une paire de bras et une paire de jambes d’une longueur invraisemblable, terminés par des mains de squelette et une paire de pieds en forme de battoirs. Tel était monsieur le docteur Killmany, médecin-dentiste, domicilié et pratiquant à la Nouvelle-Orléans depuis près de dix mois, lorsque Pierre entra à son service. Hâtons-nous d’ajouter que le docteur rachetait un peu les disgrâces de sa personne par l’élégance sévère de sa tenue, et la gravité de son geste.
Cet homme, avant de se faufiler dans le docte corps qui a droit de saigner, de purger, voire même de tuer au nom de la science et de l’humanité, avait déjà fait trente-six métiers. Nul mieux que lui ne comprenait cet art, toujours difficile, de poser en public et de le tromper. En un mot, c’était un véritable Yankee, passé-maître en fait de hâbleries, qui en aurait remontré à Robert Macaire. Tour-à-tour maquignon, vendeur d’esclaves, entrepreneur de cirques, banquier, artiste en daguerrotypes, marchand de bibles, monsieur Killmany aujourd’hui, et demain monsieur Sharpfellow, tantôt dans une place, tantôt dans une autre, cet honorable personnage roulait gros train, et levait toujours le pied au moment où la Justice se disposait à jeter un œil indiscret sur ses faits et gestes.
Il occupait, pour le moment, un logement splendide, dans le quartier le plus fashionable de la Nouvelle-Orléans. Son office richement meublé était garni de fauteuils rembourrés en caoutchouc, dans lesquels les visiteurs s’enfonçaient malgré eux.
Sur une vaste table d’acajou se trouvaient rangés avec symétrie une foule de paquets et de fioles élégantes à étiquettes dorées, revêtues de la griffe du docteur. On y voyait aussi, mais en plus petit nombre, des boîtes