Vous vous rappelez tous, chers lecteurs, l’époque de l’invasion des crinolines. Il n’y a pas encore bien longtemps de cela. D’abord elles firent leur apparition à la ville. On les porta. Quelques marchands de campagne en ayant importé à leur tour quelques-unes, dans leurs villages, les dames du docteur, du notaire, de l’avocat et des marchands de chaque endroit, les essayèrent, et s’encourageant l’une l’autre, les portèrent avec méfiance d’abord, et puis sans aucune gêne, comme si elles n’avaient jamais porté autre chose.
Enfin, petit à petit, la mode devint générale et fit fureur.
Il fallait de toute nécessité une crinoline. On ne pouvait plus vivre sans crinoline.
Toutes celles qui n’avaient pas les moyens d’en acheter une ou qui n’osaient s’en procurer ouvertement, mirent alors en réquisition les bouts de cables, de cordes à linge, les baleines et jusqu’aux cercles de barriques.
Or, chers lecteurs, écoutez, à ce sujet, la singulière histoire que voici, et permettez-moi, en même temps, de vous en garantir l’authenticité.
La scène que je vais raconter s’est passée dans un des plus florissants villages éparpillés le long du fleuve, et passablement éloigné de Montréal.
Il y avait dans ce village un tonnelier.
Ce tonnelier fabriquait des tonneaux, des cuvettes et autres espèces d’ouvrages de son ressort.
Un soir, le bateau à vapeur qui fait escale à cet endroit, déposa sur le quai, trois cents cercles à l’adresse de ce tonnelier.