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FORTUNÉ BELLEHUMEUR.

Le fait est qu’il aurait pu en revendre au procureur le plus madré, le plus subtil et retors de son temps ; ce qui, soit dit entre parenthèse, lui servait infiniment dans son commerce assez étendu de fourrures.

Ajouterais-je, chers lecteurs, que M. Bellehumeur était toujours mis avec une certaine recherche, quoiqu’il frisât la quarantaine ?

Mettons-lui, pour ce soir, un de ces habits à larges basques, avec des poches comme des gouffres, tels qu’en portent les marquis et les docteurs de comédie, une veste très-longue, des culottes courtes en velours noir, une belle et bonne paire de grandes bottes, chaussure si propice pour un pareil temps, et vous pourez-vous faire une idée assez exacte de ce qu’était, en l’an de grâce 1777, à la veille de la pleine lune de Décembre, M. Fortuné Bellehumeur.

Si ma mémoire n’est pas trop infidèle, je crois me rappeler qu’Horace a dit quelque part :

Quidlibet audendi atqPictoribus atque poetis
Quidlibet audendi atque mentiendi œqua potestas
.

Ce qui, traduit en langue vulgaire, signifierait que les conteurs ont le droit d’aller aussi vite que le télégraphe.

Nous allons donc nous transporter, d’un trait de plume, à quinze ou vingt milles d’ici, entre St Sulpice et Repentigny, au beau milieu du chemin du roi George iii, le même qui fut forcé de reconnaître l’indépendance des États-Unis six ans plus tard, — c’est-à-dire en 1783, — et nous retrouverons, à quatre heures et quarante-sept minutes du soir, M. Bellehumeur dit Sans Chagrin en très mauvaise humeur, et pestant contre la neige, contre le vent, contre les chemins, contre sa jument et enfin contre lui-même.