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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/219

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FORTUNÉ BELLEHUMEUR.

Par St. George ! grommelait entre ses dents M. Fortuné Bellehumeur, tout en ramenant pardessus son nez interminable l’épaisse fourrure de son capot et en se renfonçant dans ses robes de buffle, qu’avais-je besoin de quitter si tôt la Claire Fontaine, à Lavaltrie, où j’aurais vécu comme un coq en pâte jusqu’après cette tourmente ?… Bon ! voilà encore un tourbillon de neige qui me bouche l’œil droit, et me ferme l’œil gauche… Pour peu que cela continue, je vais devenir aussi aveugle que le chantre de l’Iliade ou l’infortuné Bélisaire… Allons, voilà que je commence à rouvrir les yeux et cependant je n’y vois goutte !… Et dire qu’à l’heure qu’il est, au lieu de me faire cahoter et rompre les os, il n’aurait tenu qu’à moi de demeurer mollement étendu sur un sopha… Ah ça ! mais il y a donc des appartements à louer dans le chemin du bon roi George III !… Quelle route et quel temps !… Pour un rien je me laisserais dégringoler au bas de la côte, et j’y attendrais patiemment le retour du soleil et d’un zéphir moins impétueux, tapi dans la neige comme un ours blanc…

Tandis que M. Fortuné se livrait à ce monologue, il lui sembla apercevoir tout-à-coup, au détour de la route, une brillante illumination, apparaissant au sein de la nuit, à quelques arpents devant lui. C’était l’auberge du Lion d’or, située à mi-chemin entre St. Sulpice et Repentigny, et dont les touristes peuvent encore, à l’heure qu’il est, voir les ruines imposantes sur l’ancien chemin du roi.

Allons, la Grise ! fit-il en allongeant un vigoureux coup de fouet à sa jument, allons… encore un bon coup de collier, et dans cinq minutes je te promets de l’avoine à pleine mangeoire et du repos jusqu’à demain.

Quelques moments après, M. Fortuné Bellehumeur arrêtait sa cariole devant l’Hôtel du Lion d’or, tenu par