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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/256

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LES TROIS FRÈRES.

de sérieuses difficultés qu’il avait heureusement surmontées, grâce à l’aide généreuse de son frère Théodore — avait fait, aux yeux du monde, un brillant mariage en épousant la fille unique de son riche patron. La seule ombre qu’il y eût à ce tableau, c’est que Madame, élevée par des parents faibles qui l’avaient habituée de bonne heure à faire toutes ses volontés, et instruite dans un pensionnat à la mode, avait reçu, des deux côtés, une éducation tout-à-fait frivole et mondaine, fort peu en rapport avec les connaissances requises chez une maîtresse de maison, et surtout chez une mère de famille.

Aussi n’avait-elle considéré le mariage que comme l’affranchissement d’une tutelle toujours gênante, si légère qu’elle soit, et une fois maîtresse d’elle-même, s’était-elle abandonnée, — de cœur joie — au courant de cette vie oisive et agitée, toujours affairée et cependant si vide et si nulle de bien des femmes du grand monde.

Madame pouvait passer des heures entières à s’habiller, se déshabiller et se rhabiller — à roucouler quelque fade romance sur son piano, ou à parcourir, — rêveuse et distraite — un roman quelconque. À certaines époques de l’année, toujours très-rapprochées, Madame pouvait mettre vingt fois par jour sur les dents son très-humble serviteur de mari rien qu’à se faire accompagner en mille endroits : — tantôt à la promenade, soit à cheval, soit dans une voiture élégante qu’elle menait elle-même, tantôt pour rendre des visites ou courir les magasins, tantôt pour aller au concert, au théâtre ou au bal. Bref, en moins de douze heures, Madame pouvait se montrer un peu partout, hormis à l’église où cependant elle daignait bien aller le dimanche, à l’heure de la grand’messe, moins par dévotion que pour étaler une toilette nouvelle.

Quoiqu’il aimât beaucoup sa femme, et qu’on dise