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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/39

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PIERRE CARDON.

temps que je devrais avoir pleuré toutes mes larmes, mais je ne sais comment ça se fait, toutes les fois que j’y pense, j’en retrouve encore. Lui, qui était si bon, si travaillant, si dévot ! Il ne m’aurait pas laissé enfiler une aiguille à la chandelle avant ce temps-là ! Et aujourd’hui, nous voir aller à rien, après avoir été si heureux ! Tenez, il y a des moments où je deviens folle, et je crois que j’ai fait un mauvais rêve. Oh ! oui, madame, ce que c’est cependant que la mauvaise compagnie et ces auberges d’enfer. Voilà ce qui a perdu mon malheureux gendre, et causé la ruine de la maison. Si j’étais maître, les aubergistes baiseraient tous le pénitencier, car ce sont eux qui mettent le divorce dans les ménages en arrachant le pain de la bouche du pauvre monde. Les auberges ressemblent sans comparaison aux toiles d’araignées, quand un homme y rentre une fois, il ne peut plus en sortir…

En ce moment, un coup violent ébranla la fenêtre de derrière, et fit sauter la Sans-Regret sur sa chaise. Avant qu’elle fût revenue de son émotion, un autre coup l’avait ouverte, et la tête pelée et osseuse d’un cheval, affreusement maigre et laid, plongeait dans l’intérieur et emportait un épi de blé-d’inde, avec un grincement de mâchoires qui dut faire trembler tous les autres.

Oh ! Hé ! Oh ! Dia ! arrête méchant rosson ! se mit à crier la vieille en retirant la table avec précipitation. Maxime ! dit-elle en s’adressant à l’ainé des enfants, vas donc le rentrer à l’écurie, cet écœurrant-là ! cours vite, mon vieux !

Mais Maxime eut beau tirer le soupçon de queue de l’animal affamé, ce dernier s’obstinait à ne pas vouloir reculer. La Sans-Regret sortit à son tour, tandis que Madame Cardon s’était levée pour refermer la fenêtre, et contemplait avec un sourire mêlé de tristesse la