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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/38

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PIERRE CARDON.

daient avec une admiration craintive. Aussitôt que la jeune femme se fut assise, la vieille rajusta ses lunettes et reprit sa tâche interrompue.

— Eh bien ! la mère, vous filez donc toujours ? à votre âge, ça doit vous fatiguer la vue, lui dit familièrement Madame Cardon, de sa voix douce et simpathique.

— Que voulez-vous ? chère petite Dame, je le sais bien, mes pauvres yeux s’en vont. On ne peut pas toujours avoir quinze ans, mais je suis bien fière de ne pas demeurer les bras croisés, quand l’ouvrage vient me trouver. Ma fille travaille autant comme autant, mais les journées manquent quelquefois, et le gagne n’est pas gros. À nous deux, nous avons grand peine à nourrir ces pauvres innocents, continua la vieille, en désignant de la main les trois petits malheureux, dont les figures insouciantes et rieuses offraient un contraste douloureux avec l’expression profondément affligée de son geste et de toute sa personne.

— Mais le mari de votre fille ?……

— Oh ! mon gendre, mon pauvre gendre ! soupira la vieille en étouffant ses sanglots. Il chauffe à bord de la Queen, depuis six semaines. C’est Jacquinet le navigateur qui a dégréé avant-hier, qui nous l’a rapporté, sans quoi nous ne le saurions pas encore.

— La navigation va être bientôt fermée, et il reviendra avec ce qu’il aura gagné, fit madame Cardon, émue jusqu’aux larmes.

— Que le bon Dieu le veuille, murmura la Sans-Regret en hochant la tête, d’un air désespéré et comme se parlant à elle-même, mais il ne fera pas ce miracle. Oh ! chère dame, vous ne sauriez jamais imaginer tout ce que j’ai souffert, depuis trois ans que le malheureux garçon s’est jeté à la boisson. Il y a long-