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PIERRE CARDON.

regard inquiet et heureux allait et revenait de son mari à son cher nourrisson.

Pierre paraissait soucieux. Un observateur plus pénétrant que sa femme eut vu tout de suite qu’il était sous l’empire d’une pénible contrainte. En effet la crise commerciale qui pesait sur le pays, avait compromis gravement ses affaires, et la ruine de plusieurs de ses confrères se balançait au-dessus de sa tête comme une autre épée de Damoclès.

Cependant la fraîcheur du soir commençait à se faire sentir, quoique pendant toute la journée l’atmosphère eût été brûlante et poudreuse. Marie déposa son ouvrage, releva son enfant et le prit dans ses bras. De ses petites mains qui tenaient encore des fleurs, il caressait tour-à-tour, en souriant à tous deux, le visage de sa mère et le front paternel, lorsqu’une apparition aussi soudaine qu’inattendue changea les rires de l’enfant en pleurs convulsifs.

Un étranger à l’air grossier et cynique, la tête ornée d’un sombrero ou panama déplorablement fracassé et planté audacieusement sur le côté gauche, se tenait debout devant eux, les regardant d’un air railleur, tandisque sa main gauche remuait avec complaisance les anneaux d’une grosse chaîne d’or pendue à son gilet, et que la droite se perdait dans la poche de son pantalon.

Il avait le teint hâlé par le soleil, et la pommette de ses joues accusait ce coloris pourpré dont le démon du vice marque impitoyablement ses victimes. Les rides précoces qui sillonnaient son front et le sang dont ses yeux étaient injectés, achevaient d’imprimer à toute sa physionomie le sceau du vice et de la débauche.

Aux cris d’effroi de son enfant, M. Cardon s’était retourné précipitamment et ne reconnaissant pas l’im-