Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
PIERRE CARDON.

comme une allumette. Nous ferions mieux d’entrer au logis.

Les deux amis sortirent du jardin, bras dessus, bras dessous, Malandrin s’étant emparé de M. Cardon, comme s’il eût eu à lui faire les honneurs de sa propre maison.

À leur entrée dans la pièce où se tenait madame Cardon, Pierre présenta à sa femme son ami Ephrem, et les civilités d’usage une fois échangées, ce dernier alla plutôt s’étendre que s’asseoir sur un sopha.

Ah ça ! mon cher ami, j’ai des compliments à te faire sur ton héritier. Il est aussi gentil que sa mère. Viens donc ici, mon gros, viens donc, se mit à crier M. Malandrin, en agitant sa chaîne de montre pour attirer l’enfant.

Et comme l’enfant ne venait pas, M. Malandrin se décida à aller le prendre, ayant soin toutefois pour l’empêcher de pleurer, de lui donner sa montre et de le faire sauter sur ses genoux tout en sifflant le Yankee doodle do, avec une telle perfection que le meilleur cabdriver de l’Union en eût été émerveillé.

Ces manières ignobles, ce sans-gêne grossier, humiliaient profondément madame Cardon. Elle éprouvait pour cet homme qu’elle voyait pour la première fois et qui s’intitulait le meilleur ami de son mari, une répulsion secrète, une aversion instinctive. Ce fut bien pis, quand M. Ephrem ayant pris coup sur coup deux verres de rhum à moitié pleins, eut commencé la narration de sa déplorable et folle odyssée.

À mesure qu’il avançait dans son récit, il avait recours au verre pour rafraîchir sa mémoire. Les fables les plus impossibles, les merveilles les plus incroyables, sur la richesse et l’excellence de la Grande République, les chances invraisemblables de succès qu’avaient eues la plupart des Canadiens qui s’y étaient rendus, au lieu