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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/46

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PIERRE CARDON.

de manger chez eux de la vache enragée et de boire l’eau claire du St. Laurent, émaillaient la conversation dont il faisait seul tous les frais.

Pierre Cardon l’écoutait avec une curiosité avide ; il subissait déjà, sans s’en douter, cet ascendant moral qu’exercent les natures dépravées, sur des caractères confiants et débonnaires ; quant à Marie elle avait eu peine à cacher son dégoût. Les paroles de la Sans-Regret, paroles prophétiques, bourdonnaient à son oreille, et un pressentiment dont elle ne pouvait se défendre, lui disait que cet individu au visage cynique, allait devenir le mauvais génie de sa maison.

Dix heures venaient de sonner et M. Malandrin ne paraissait guère disposé à arriver à la péroraison de son discours. Madame Cardon se leva, comme pour se retirer, et le narrateur en fit autant après avoir lâché, entre deux hoquets, quelques remarques banales sur la rapidité des heures passées au milieu d’anciens amis.

— Allons Pierre, le bonnet de nuit ! dit Ephrem, en tirant à lui le carafon presque vide ; on se reverra encore, et je t’en conterai bien d’autres…

À partir de ce jour, M. Malandrin continua ses visites, malgré la répugnance qu’il inspirait à madame Cardon et que celle-ci ne cherchait nullement à lui dissimuler. Elle avait même essayé, à ce sujet, quelques remontrances amicales à son mari ; mais ce dernier s’était contenté de répondre qu’Ephrem était le meilleur garçon du monde et qu’il ne fallait pas juger des gens sur la mine.

Marie se résigna.