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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/51

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PIERRE CARDON.

La neige se mit à tomber, fine d’abord, puis large comme des écus.

Peu à peu la route tracée par les voitures s’effaça.

Il faisait un de ces temps affreux où, pour me servir de l’expression populaire, l’on ne mettrait pas un chien dehors : nuit terrible où le misérable qui n’a ni feu ni lieu erre seul à l’aventure, poussé par le désespoir et la faim.

Malgré cette tempête de neige qu’une profonde obscurité rendait encore plus effrayante, une forme humaine, semblable à un spectre nocturne, marchait en chancellant sur cette nappe éblouissante.

La neige craquait sous ses pas d’une manière sinistre.

De temps à autre, on l’entendait prononcer des mots incohérents et sans suite. Quelquefois il poussait des éclats de rire, de ce rire strident et saccadé qui fait mal au cœur, comme rient les fous.

Cependant Pierre Cardon, marchait, marchait toujours. Ses habits étaient couverts de givre, et la neige qui lui fouettait le visage, l’avait rendu presqu’aveugle.

Bientôt la couche de neige qui couvrait la terre devint si épaisse que le malheureux n’avançait plus qu’à grand peine, et soit lassitude, soit qu’il eût marché trop près du rebors du chemin, il trébucha et tomba lourdement dans le fossé.

Il essaya de se relever, mais en vain.

Peu à peu ses membres devinrent inertes, le froid commençait à le gagner. La neige continuait à tomber.

Alors Pierre Cardon, couché vivant dans sa tombe, eut une vision étrange, terrible.

Sa mémoire lui retraça, avec une fidélité saisissante et implacable, tous les évènements de sa vie, depuis son enfance.