Aller au contenu

Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
59
LES TROIS DIABLES.

son violon, se l’ajusta délicatement sous le menton et prit son archet de la main droite.

Le diable le regardait faire sans souffler mot, immobile et raide comme un piquet.

Allons, pensait le cordonnier, en examinant son étrange vis-à-vis sous cape, tu ne veux pas t’asseoir, tu ne veux pas marcher,…… Eh bien ! tu danseras, maudit ! et je te promets que tu sauteras comme tu n’as pas encore sauté de ta vie.

Et Richard hasarda une note sur son violon.

Aussitôt le diable leva la jambe, la pointe de son pied gauche tournée en dedans.

Puis vint une seconde note, et le diable fit un pas en cadence.

Puis le cordonnier attaqua résolument un air animé, et le diable se mit à danser, à tourner, et à voltiger, se livrant à une polka désordonnée, furieuse, — car il est bon de noter, en passant, que la polka est une des danses favorites du diable.

Richard le fit sauter de la sorte pendant douze jours.

Le douzième jour, sur le soir, comme le soleil allait se coucher, le pauvre diable était tellement échauffé qu’il en avait le poil rouge. Les yeux lui sortaient de la tête, et sa langue était sèche comme un charbon.

— Arrête, Richard ! s’écriait-il de temps à autre, d’une voix étouffée, arrête !…… Je suis éreinté……

Mais Richard jouait de plus belle, et le diable valsait malgré lui.

À la fin, n’en pouvant plus, le diable dit à Richard :

— Si tu veux ne plus jouer, je te laisserai encore ta femme un an et un jour.

— C’est bien, dit le cordonnier, et il raccrocha son violon, tandis que le diable, hors d’haleine, s’essuyait les babines.