Aller au contenu

Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
79
LES DEUX VOISINS.

Ces paroles, débitées avec énergie et conviction, frappèrent tellement le voisin Pierre qu’il planta là le voisin Jean-Baptiste au milieu de ses poteaux et ne fit qu’un bond jusqu’à chez lui, bien décidé à ne pas omettre devant sa femme une seule des paroles qu’il venait d’entendre et qui résonnaient encore à ses oreilles comme autant de reproches pour le présent et de menaces pour l’avenir.

Il fallait d’ailleurs frapper un grand coup. Le voisin Pierre ne pouvait se dissimuler plus longtemps que l’on mangeait les revenus et le capital, et que du train d’enfer dont on allait, on courait, à toute vitesse, vers une ruine certaine.

— Madame ! dit-il en arrivant tout essoufflé dans la salle à manger où toute la famille se trouvait réunie pour le déjeuner, madame, le jeune Jean-Baptiste finit sa philosophie cette année et va apprendre immédiatement après un métier. Son père vient de me dire qu’il est bon, dans ces temps difficiles, qu’un jeune homme ait plus d’une corde à son arc.

Pierre finit aussi sa philosophie cette année, je crois que ce serait une excellente idée de le mettre aussi en apprentissage.

— Grand Dieu ! mon mari devient fou, s’écria Madame Pierre, en se jetant à la renverse dans son fauteuil et tenant les yeux fixés vers le plafond comme pour prendre le Ciel à témoin de l’infamie qu’on venait de lui proposer. Vouloir faire un ouvrier de mon fils, quelle honte !…… Est-ce que mon enfant a étudié à fond le latin et le grec pour aller s’enterrer dans un atelier ? Non, non, mille fois non, il faut qu’il devienne avocat, il faut qu’il brille au barreau et qu’il fasse un grand mariage. Quel est le riche assez ignare, assez stupide, qui irait donner sa fille en mariage à un pauvre diable d’artisan ?