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Moi je suis cent fois riche, eh bien ! frères, je veux
Descendre parmi vous le fleuve de la vie
Au milieu de joyeux festins !
Venez, ne manquez point. » Dès le soir, comme on pense,
Accourut une foule immense
D’amis improvisés, ou plutôt de coquins
Comme on en voit tant dans ce monde,
Chaque fois qu’il s’agit d’écornifler les plats.
En un mot, bientôt tous les rats
De plus d’une lieue à la ronde
Viennent chez Rodilard qui les reçoit gaîment.
Les voilà donc mangeant, saccageant, gaspillant
Ce grenier qui pour eux est un nouveau Cocagne ;
Quand par malheur, un beau matin,
Le maître de ce magasin
Qui durant les chaleurs habitait la campagne
Vint visiter sa farine et son grain.
Il voit l’affreux dégât, fait tout changer de place
Sans différer un seul instant ;
Et notre amphytrion, hier Crésus puissant,
Réduit soudain à la besace
Dut déguerpir au trot de son cher paradis :
Fortune ingrate et mensongère !
Pensa-t-il en fuyant, de tes coups je me ris.
« N’ai-je pas de nombreux amis
« Qui se croiront heureux d’adoucir ma misère !…
« J’irai dîner ici, je souperai là-bas,
« Je verrai tour à tour ancienne connaissance
« Qui paîra de son mieux ces splendides repas
« Témoignage éclatant de mes jours d’opulence.