Page:Stevenson - Catriona.djvu/284

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Nous demeurâmes un instant silencieux ; je me sentais dominé par le chagrin, je voyais tous mes rêves s’évanouir et je me retrouvais seul dans le monde, comme au début de ma vie.

« Ce sont des adieux ? m’écriai-je, je verrai toujours Miss Drummond, mais ceci est un adieu à ma Catriona ! »

Je la regardai, elle me sembla plus grande et plus belle que jamais,… je perdis la tête, je l’appelai une fois encore par son nom et je fis un pas vers elle, les mains tendues.

Elle se recula, effrayée, et rougit ; mais le sang ne fut pas plus vite à ses joues qu’il ne reflua à mon cœur. À cette vue, saisi de remords, ne trouvant point d’excuse, je la saluai très bas et je la quittai la mort dans l’âme.

Je crois qu’après cette scène, cinq jours s’écoulèrent sans amener de changement. Je ne la vis qu’aux repas, et alors, en la présence de James More.

Si, par hasard, nous nous trouvions seuls quelques secondes, j’avais soin de me tenir à distance et de multiplier les marques de respect, ayant toujours à l’esprit l’embarras qu’elle m’avait laissé voir, et, dans le cœur, plus de compassion pour elle que je n’en eusse pu exprimer. Je souffrais autant pour elle que pour moi, ce qui m’empêchait de lui en vouloir.

Elle était souvent seule. Son père, constamment retenu au dehors par ses affaires ou ses plaisirs, la négligeait sans scrupule et sans lui donner d’explications. Il lui arrivait de passer la nuit à la taverne, et je me demandais comment il pouvait se procurer de l’argent. Un jour, il ne rentra pas à l’heure du dîner, que nous dûmes achever sans lui. Je me retirai sitôt après, et Catriona n’essaya pas de me retenir ; à tort ou à raison, je m’imaginais que ma présence lui était désagréable, en lui rappelant un moment d’abandon dont elle pensait avoir à rougir. Elle resta donc seule dans cette chambre où