Page:Stevenson - Catriona.djvu/40

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d’un gentilhomme, était-il possible de n’en pas avoir le cœur ? Je crus voir dans cette dernière réflexion un esprit trop païen et je terminai ce combat avec moi-même par une prière : je demandai à Dieu le courage nécessaire pour aller droit à mon devoir comme les soldats vont au feu, et, si possible, la grâce d’en revenir sain et sauf comme beaucoup d’entre eux.

Ces pensées m’amenèrent à plus de résolution sans m’aveugler sur les dangers qui m’entouraient, et je me demandai si je serais bien de force, le cas échéant, à monter sans broncher les degrés de la potence. C’était une belle matinée, mais un frais vent d’est m’apportait des senteurs d’automne, de feuilles mortes, et, par elles, des idées funèbres. Le diable s’en mêlait donc, si je devais mourir dans cette marée de fortune, et encore pour le compte des autres !

Au haut de la colline de Calton, quelques enfants couraient avec des cerfs-volants qui se détachaient sur le ciel ; j’en remarquai un plus grand que les autres ; il prit son essor, puis retomba parmi les genêts, et je me dis en le voyant : Ainsi en sera-t-il de David.

Mon chemin grimpait à travers champs le long de la colline de « Monter ». On entendait de maison en maison le bruit des métiers de tisserands et le bourdonnement des abeilles dans les jardins ; les flâneurs que je voyais causant sur le pas des portes parlaient un dialecte étranger, et plus tard, je découvris que ce village était Picardy, où les tisserands français s’étaient établis et travaillaient pour le compte de la compagnie des Toiles Britanniques. J’obtins là des renseignements sur la direction que je devais prendre pour aller à Pilrig et je continuai mon chemin. Tout à coup, sur le côté de la route, une potence m’apparut portant deux hommes pendus par des chaînes. Ils avaient été plongés dans le goudron selon l’usage, le vent les faisait tourner, les