Page:Stevenson - Catriona.djvu/83

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tenté par les futurs et saints devoirs du mariage. Mon éducation m’avait préparé aux choses sérieuses, j’avais été nourri du pain dur de la vérité : je savais qu’il est indigne d’être époux, celui qui n’est pas prêt aussi à être père, et pour un adolescent comme moi, le rôle de père avait l’air d’une dérision.

Arrivé à moitié chemin de la ville, j’en étais là de mes réflexions, quand je vis s’avancer vers moi une chère silhouette dont la vue doubla le trouble de mon cœur. En me rappelant combien ma langue avait eu peine à se délier le jour de notre première rencontre, j’étais sûr que j’allais maintenant être muet comme une carpe. Mais, dès qu’elle fut près de moi, mes craintes s’évanouirent, l’idée des réflexions que je venais de faire ne me déconcerta même pas, et je m’aperçus que je pouvais causer avec elle sans aucune gêne et tout aussi librement qu’avec Alan.

« Oh ! s’écria-t-elle en me voyant, vous veniez chercher vos « six pence » ? Vous les a-t-on rendus ? »

Je lui dis que non, mais que ma course ne serait pas perdue puisqu’elle était là.

« Bien que je vous aie déjà vue aujourd’hui, ajoutai-je, et je lui dis où et quand.

— Moi, je ne vous ai pas vu, dit-elle, mes yeux sont grands, mais il y en a de meilleurs quand il s’agit de voir de loin. J’ai seulement entendu chanter dans la maison.

— C’était miss Grant, l’aînée et la plus jolie des trois sœurs.

— On assure qu’elles sont toutes très belles.

— Elles pensent la même chose de vous, miss Drummond, et elles se pressaient toutes à la fenêtre pour vous voir.

— C’est dommage que je sois si aveugle, car je les aurais vues aussi. Vous étiez donc dans la maison ?