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bonne compagnie, que je commençais à m’accorder tout à fait de mon séjour dans la maison des Shaws. Rien ne venait d’ailleurs s’ajouter à ma méfiance première, si ce n’est la vue de mon oncle et de ses yeux qui jouaient à cache-cache avec les miens.

Je fis cependant une découverte, qui me remit dans le doute.

C’était une note écrite à la main sur la page de garde d’un livre à bon marché, un ouvrage de Patrick Walker, note qui était évidemment de l’écriture de mon père et qui était ainsi conçue :

« À mon frère Ebenezer, pour son cinquième anniversaire. »

Ce qui m’intriguait alors, c’était que mon père étant le cadet, il fallait qu’il eût commis une étrange erreur, ou qu’il ait écrit cette note d’une écriture excellente, claire, virile, avant l’âge de cinq ans.

J’essayai de ne plus songer à cela, mais j’eus beau recourir à bien des auteurs intéressants, anciens ou modernes, aux historiens, aux poètes, aux conteurs, cette inscription de l’écriture de mon père m’obsédait toujours, et quand je retournai à la cuisine et que je fus assis, comme à l’ordinaire, devant la soupe et la petite bière, les premiers mots que j’adressai à l’oncle Ebenezer furent pour lui demander si mon père n’avait pas été de bonne heure en état de se servir d’un livre.

— Alexandre ? Pas lui ! répondit-il, j’ai appris bien plus vite, j’étais fort déluré dans ma jeunesse et j’ai su lire aussi vite que lui.

Cela m’intrigua encore davantage.

Il me vint une idée à l’esprit et je lui demandai si mon père et lui étaient jumeaux.

Il sursauta sur sa chaise ; la cuiller de corne lui échappa des mains et tomba à terre.