Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/23

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choses (principalement des habits), je trouvai un dirk[6] highlander rouillé et d’aspect formidable, avec son fourreau. Je cachai cette arme sous mon gilet, et retournai auprès de mon oncle.

Il gisait comme il était tombé, en un tas, un genou relevé et un bras allongé ; sa figure était d’un bleu étrange, et il semblait avoir cessé de respirer. La peur me prit, qu’il fût mort ; j’allai chercher de l’eau et lui en aspergeai la face. Il revint à lui : sa bouche tressaillit et ses paupières se soulevèrent. Enfin il m’aperçut, et ses yeux révélèrent une terreur qui n’était pas de ce monde.

– Allons, allons, dis-je, debout !

– Êtes-vous en vie ? pleurnicha-t-il. Oh ! mon ami, êtes-vous en vie ?

– Je le suis, dis-je ; mais ce n’est pas grâce à vous !

Il s’était mis sur son séant et tirant sa respiration avec de profonds soupirs.

– La fiole bleue ! dit-il… dans l’armoire… la fiole bleue !

Son souffle se ralentissait.

Je courus au buffet, et y trouvai en effet une fiole médicinale bleue, dont l’étiquette prescrivait la dose, que j’administrai en toute hâte à mon oncle.

– C’est mon mal, dit-il, reprenant vie peu à peu ; j’ai une maladie, David… au cœur.

Je le mis sur une chaise et le considérai. À vrai dire, je ressentais quelque pitié envers cet homme qui avait l’air si malade, mais j’étais plein de juste colère aussi ; et je lui énumérai les points sur lesquels je voulais des explications : – pourquoi il me mentait à chaque mot ; pourquoi il craignait de me voir le quitter ; pourquoi il n’aimait pas que l’on insinuât que mon père et lui fussent jumeaux… « Est-ce parce que c’est vrai ? » demandai-je ; pourquoi il m’avait donné cet argent auquel j’étais convaincu de n’avoir pas droit ; et enfin pourquoi il avait tenté de me faire mourir. Il m’écouta d’un bout à l’autre en silence ; puis, d’une voix entrecoupée, il me pria de le laisser se mettre au lit.

– Je vous le dirai demain, dit-il, aussi vrai que je vais mourir.

Et il était si faible que je ne pus faire autrement que de consentir. Toutefois, je l’enfermai dans sa chambre, et mis la clef dans ma poche ; puis, retournant à la cuisine, j’y fis une flambée comme elle n’en avait pas connu depuis des années ; et, m’enveloppant de mon plaid, je m’étendis sur les coffres, et m’endormis.