Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/22

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volées. Or, j’étais arrivé à l’un de ces tournants, lorsque, en tâtant devant moi, comme toujours, ma main effleura une arête, au-delà de laquelle il n’y avait plus que le vide. L’escalier n’allait pas plus haut : faire monter l’escalier, dans l’obscurité, par quelqu’un qui ne le connaissait pas, c’était envoyer ce quelqu’un à la mort ; et, bien que, grâce à l’éclair et à mes précautions, je fusse sauf, à la simple idée du danger que je venais de courir et de l’effrayante hauteur d’où j’aurais pu tomber, mon corps se couvrit de sueur et mes membres se dérobèrent.

Mais je savais maintenant ce que je voulais savoir, et, faisant demi-tour, je me mis à redescendre, le cœur plein d’une colère furieuse. Comme j’étais à mi-chemin, une rafale de vent survint, qui ébranla la tour, puis s’éloigna ; la pluie commença ; et je n’étais pas encore au niveau du sol qu’elle tombait à seaux. J’avançai ma tête dans la tourmente et regardai dans la direction de la cuisine. La porte, que j’avais refermée derrière moi en partant, était à présent grande ouverte ; il s’en échappait une faible lueur ; et j’entrevis une forme debout sous la pluie, immobile comme celle d’un homme qui écoute. Et alors il y eut un éclair aveuglant, qui me découvrit en plein mon oncle, là où j’avais cru le voir en effet ; et presque aussitôt le roulement du tonnerre éclata.

Mon oncle s’imagina-t-il que ce bruit était celui de ma chute, ou bien y discerna-t-il la voix de Dieux dénonçant son crime, je le laisse à penser. Le fait est, du moins, qu’il fut saisi comme d’une terreur panique, et qu’il s’enfuit dans la maison, laissant la porte ouverte derrière lui. Je le suivis le plus doucement possible, et, pénétrant sans bruit dans la cuisine, m’arrêtai à le considérer.

Il avait eu le temps d’ouvrir le buffet d’angle et d’en sortir une grosse bouteille clissée d’eau-de-vie, et il était alors assis à la table, le dos tourné vers moi. À tout moment il était pris d’un effrayant accès de frisson ; il gémissait alors tout haut, et, portant la bouteille à ses lèvres, buvait à pleine gorge l’alcool pur.

Je m’avançai jusqu’auprès de lui, et soudain, abattant mes deux mains à la fois sur ses épaules, je m’écriai : « Ah ! »

Mon oncle poussa un cri inarticulé pareil au bêlement d’un mouton, leva les bras au ciel, et tomba sur le carreau, comme mort. J’en fus un peu affecté ; mais j’avais d’abord à m’occuper de moi, et n’hésitai pas à le laisser où il était tombé. Les clefs étaient pendues dans le buffet ; et j’étais résolu à me procurer des armes avant que mon oncle eût repris avec ses sens la faculté de me nuire. Le buffet contenait quelques fioles, de médicaments, sans doute ; beaucoup de factures et d’autres paperasses, dans lesquelles j’aurais volontiers fouillé, si j’en avais eu le temps, et divers objets qui ne pouvaient m’être d’aucune utilité. J’examinai ensuite les coffres. Le premier était plein de farine ; le second de sacs d’argent et de liasses de papiers ; dans le troisième, entre autres