Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/35

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sabot ; et vous savez fort bien que je fais de mon mieux pour gagner mon salaire. Mais je n’ai été payé pour rien autre.

– Si vous vouliez bien retirer votre main de la poêle, monsieur Riach, je n’aurais pas à me plaindre de vous, répliqua le capitaine ; et au lieu de jouer aux charades, je me permettrai de dire que vous ferez mieux de réserver votre haleine pour refroidir votre porridge. On a besoin de nous sur le pont, ajouta-t-il, d’un ton sec, en mettant le pied sur l’échelle.

Mais M. Riach le retint par la manche.

– En admettant que vous ayez été payé pour commettre un assassinat…

Hoseason se retourna sur lui, tout flambant de colère.

– De quoi ? s’écria-t-il. Qu’est-ce que vous dites là ?

– Je dis apparemment ce que vous êtes capable de comprendre, dit M. Riach, qui le regardait fixement dans les yeux.

– Monsieur Riach, j’ai fait trois croisières avec vous, répondit le capitaine. Durant ce temps, j’ai appris à vous connaître ; je suis un homme raide, et dur aussi ; mais pour ce que vous venez de dire là ; – pouah ! – c’est d’un mauvais cœur et d’une conscience troublée. Si vous dites que le garçon va mourir…

– Mais oui, il va mourir ! dit Riach.

– Eh bien, monsieur, n’est-ce pas suffisant ? dit Hoseason. Flanquez-le où il vous plaira.

Là-dessus, le capitaine remonta l’échelle ; et moi, qui étais demeuré silencieux durant toute cette singulière conversation, je vis M. Riach se retourner sur lui et lui faire une révérence jusqu’à terre, évidemment dérisoire. Malgré mon état de faiblesse, je compris deux choses : que le second avait une pointe de boisson, comme le capitaine l’avait insinué, et aussi que (ivre ou non) j’avais sans doute en lui un ami appréciable.

Cinq minutes après, mes liens étaient coupés, j’étais enlevé sur des épaules, porté dans le gaillard d’avant, et déposé tout à trac sur un tas de couvertures, – où je commençai par perdre connaissance.

Ce me fut une bénédiction de rouvrir les yeux au jour, et de me retrouver dans la société des hommes. Le gaillard d’avant était assez spacieux, tout entouré de couchettes sur lesquelles les hommes de la bordée en bas étaient assis à fumer, ou couchés endormis. Comme le temps était calme, et le vent bon, le panneau était ouvert, et non seulement la claire lumière du jour, mais de temps à autre (grâce au roulis) un rai poussiéreux de soleil y pénétraient et m’éblouissaient délicieusement. Je n’eus pas plus tôt fait un mouvement, d’ailleurs, que l’un des hommes vint me donner à boire une potion réconfortante préparée par M. Riach, et m’enjoindre de rester tranquille, afin d’être vite rétabli. Je n’avais rien de cassé, ajouta-t-il : « Un bon coup sur le crâne, ce n’est rien, dit-il. L’ami, c’est moi qui vous l’ai donné ! »

Je restai là plusieurs jours, étroitement surveillé, et non seulement je recouvrai la santé, mais j’en vins à connaître mes compagnons. C’étaient des gens grossiers, comme la plupart des matelots, retranchés