Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/133

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qui était d’une belle épaisseur, et j’attendis, les nerfs tendus, le cœur battant…

Voyant ma tactique, il s’arrêta. Quelques instants se passèrent en feintes de sa part et mouvements correspondants de la mienne. C’était un jeu que je connaissais pour l’avoir souvent pratiqué avec des galopins de mon âge dans les rochers de Black-Hill, quoique ma vie n’en dépendît pas alors, et je comptais bien en sortir vainqueur, cette fois, avec un vieux matelot blessé pour adversaire. Le fait est que je repris courage, et cela me permit de réfléchir sur la fin probable de l’affaire. Je voyais bien la possibilité de prolonger fort longtemps la lutte ; je n’en voyais guère de m’en tirer définitivement avec la vie sauve…

Sur ces entrefaites, l’Hispaniola toucha le banc de sable, vacilla sur sa quille et soudain s’arrêta, en tombant sur le flanc de bâbord, — le pont faisant avec l’horizon un angle de quarante-cinq degrés ; tout une masse d’eau rebondit par-dessus les bastingages, balaya ce qui se trouvait devant elle, puis forma une espèce de mare dans le creux.

Du coup, Hands et moi nous perdîmes simultanément notre équilibre, et nous allâmes rouler ensemble jusqu’aux dalots, — suivis de près par le mort au béret rouge, qui tomba derrière nous, tout raide et les bras étendus. Nous étions si près l’un de l’autre, que ma tête frappa le pied du second maître avec une violence dont mes dents furent ébranlées.

Mais je fus le premier à me relever, car Hands avait à se dégager du cadavre.

La chute soudaine du navire n’en faisait pas moins du pont un champ de course absolument impraticable. Il me fallait trouver, et sur l’heure, un autre moyen de salut, car mon ennemi n’avait qu’à allonger le bras pour m’atteindre. Avec la rapidité de l’éclair, je me jetai dans les haubans de misaine, je grimpai sans perdre une minute, et je ne m’arrêtai pour reprendre haleine qu’en me voyant arrivé à la grande vergue.

La rapidité de mon action m’avait sauvé la vie, car le poignard de Hands, lancé d’une main furieuse, vint frapper les haubans à un demi-pied à peine au-dessous de moi. En regardant en bas, je vis le brigand qui me considérait, la bouche grande ouverte, hébété de surprise et de désappointement, après quoi il ramassa son arme.

Cela me donnait un moment de répit. J’en profitai pour changer l’amorce de l’un de mes pistolets, et me mettre en devoir de recharger complètement l’autre.

Hands me vit faire. Il comprit qu’il était perdu s’il me laissait le temps d’achever cette opération. Et aussitôt, le poignard aux dents,