Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/132

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L’intérêt dramatique de ces manœuvres avait un peu relâché depuis quelques instants la surveillance que j’exerçais sur les mouvements d’Israël Hands. En ce moment, j’étais si absorbé, attendant d’une seconde à l’autre que le schooner touchât, que j’avais complètement oublié le péril suspendu sur ma tête. Je me penchais à tribord pour regarder les ondulations de l’eau qui s’élargissaient sur l’avant.

Un instant de plus, et j’aurais succombé sans avoir eu seulement le temps de me défendre, si je ne sais quelle inquiétude soudaine ne m’avait fait tourner la tête. Peut-être avais-je entendu un craquement derrière moi, vu du coin de l’œil une ombre se mouvoir ; peut-être fut-ce un instinct pareil à celui qui avertit un jeune chat… Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’en me retournant je vis Hands qui arrivait sur moi, son poignard à la main !… Il avait déjà fait la moitié du chemin.

Deux cris s’échappèrent à la fois de nos poitrines quand nos yeux se croisèrent : un cri de terreur de la mienne, un rugissement de rage de celle de Hands. Au même instant, il se jeta vers moi et je fis un bond de côté vers l’avant. Dans ce mouvement, je lâchai brusquement la barre, qui retomba vers bâbord, et, très probablement, c’est à cette circonstance que je dus la vie, car la lourde poutre frappa le misérable en pleine poitrine, et, du coup, l’étourdit net.

Avant qu’il eût pu se remettre, j’étais hors du coin où il s’en était fallu de si peu qu’il ne me prit comme dans une trappe, — et j’avais tout le pont devant moi pour lui échapper. Je m’arrêtai au grand mât ; je tirai un pistolet de ma poche et je le dirigeai froidement sur le scélérat qui revenait déjà sur moi… Je lâchai la détente ; le chien s’abattit… Hélas ! le coup ne partit pas. L’eau de mer avait mouillé la poudre du bassinet, et je n’avais à la main qu’une arme inutile !…

Ah ! combien je maudis alors ma négligence ! Il aurait été si simple de renouveler l’amorce de mes armes !… Et, du moins, je n’aurais pas été réduit au seul rôle qui me restât : celui d’un mouton qui fuit devant le boucher.

Je n’aurais jamais cru que cet homme pût se mouvoir aussi vite, blessé comme il était. Il faisait peur à voir, avec ses cheveux gris en désordre, sa face cramoisie de fureur et d’impatience. Mais je n’eus ni le temps ni l’envie d’essayer mon second pistolet : je savais d’ailleurs que ce serait inutile. Je voyais clairement une chose : c’est qu’il ne s’agissait pas simplement de battre en retraite, si je ne voulais pas me trouver pris sur l’avant comme une minute plus tôt j’avais failli l’être à l’arrière. Une fois acculé, dix à douze pouces de couteau dans le corps seraient ma dernière expérience en ce bas monde… Je plaçai donc les paumes de mes mains sur le grand mât,