Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/149

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si près du gibet que mon cou se raidit, rien que d’y penser… Vous n’êtes pas sans en avoir vu des pendus, le long de la Tamise, se balançant aux chaînes, avec des vols de corbeaux tout alentour !… Les matelots se les montrent en descendant la rivière avec le jusant. « Quel est celui-là ? » dit l’un. « Celui-là ? Eh ! c’est John Silver. Je l’ai bien connu, » répond l’autre. Et vous entendez les chaînes s’entre-choquer comme vous arrivez à la bouée… Eh bien, voilà où nous en sommes, grâce à ce beau parleur-là, à Hands, à Andersen et à tous les idiots qui ont voulu se mêler de ce qui ne les regardait pas… Et si vous êtes curieux de savoir ce que j’ai à dire du numéro quatre, — de ce garçon-là, — eh ! par tous les diables, est-ce que ce n’est pas un otage ? Croyez-vous qu’un otage n’ait pas son prix par le temps qui court, pour que j’aille m’amuser à le gâcher aussi ? Non, pas si bête. C’est peut-être notre dernière chance de salut. Je la garde. Tuer ce garçon ? Ah ! mais non, camarades. Quant au numéro trois… il y a beaucoup à dire au sujet du numéro trois. Peut-être comptez-vous pour rien d’avoir un docteur, un vrai docteur, qui vient vous voir chaque jour, — toi, Bill, avec ta tête cassée, et vous, George Merry, qui trembliez la fièvre il n’y a pas six heures et qui en ce moment même avez les yeux couleur jaune citron ?… Peut-être aussi ignorez-vous qu’il y a un autre navire en route vers cette île ?… Pourtant il y en a un, qui ne tardera pas à paraître. Et nous verrons alors qui sera bien aise d’avoir un otage, quand nous en serons là… Reste le numéro deux. Pourquoi j’ai traité avec les gens du blockhaus ? M’est avis que vous le savez bien un peu, vous qui êtes venus me lécher les bottes, pour que je le fisse, — oui, me lécher les bottes, vous étiez si découragés, — sans compter que vous seriez morts de faim sous deux ou trois jours… Mais tout cela n’est rien. Vous voulez savoir pourquoi j’ai traité ?… Tenez, le voilà, le pourquoi !… »

Et ce disant, il jeta sur le plancher un papier que je reconnus à l’instant, — la carte même, la carte jaunie, avec ses trois croix rouges, que j’ai trouvée dans le coffre du Capitaine !… Il m’était impossible de comprendre que le docteur s’en fût dessaisi.

Mais, si c’était une énigme pour moi, les rebelles ne songèrent même pas à en demander l’explication. Ils sautèrent sur ce papier comme des chats sur une souris. Je le vis passer de main en main. On se l’arrachait. Et c’étaient des cris, des rires enfantins… À peine auraient-ils témoigné plus de joie s’ils avaient tenu le trésor et s’ils s’étaient vus en mer, avec leur butin, dans un bon navire.

« Oui, dit l’un, c’est bien la griffe de Flint : J. F. avec un paraphe et un point au milieu. C’est ainsi qu’il signait toujours.

— C’est très joli, répondit George. Mais comment ferons-nous pour nous tirer d’ici sans navire ?