Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/55

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il nous fut souvent très utile. Enfin, le second maître, Israël Hands, était un vieux marin plein d’expérience, à qui l’on pouvait se fier quand il avait reçu une consigne.

Lui et John Silver faisaient une paire d’amis et cela m’amène à dire un mot de notre cuisinier.

À bord, il portait sa béquille suspendue à son cou par une courroie, afin d’avoir les deux mains libres. Rien de curieux comme de le voir se servir de cette béquille ainsi que d’un étai, dont l’extrémité reposait contre un appui quelconque, et, se laissant ainsi aller au roulis, faire sa cuisine aussi tranquillement qu’à terre. Mais le plus extraordinaire était de le voir courir sur le pont par un gros temps. On avait tendu des haussières à son usage dans les endroits les plus difficiles, et il s’en servait avec une adresse inouïe pour sauter d’un point à un autre, tantôt s’aidant de sa béquille, tantôt la traînant après lui par la courroie, mais toujours plus vite qu’aucun matelot n’aurait pu faire avec ses deux jambes. Cela n’empêchait pas ceux qui avaient autrefois navigué avec lui de le plaindre beaucoup d’en être réduit là.

« John n’est pas un homme ordinaire, me disait un jour le second maître. Il a eu de l’instruction dans ses jeunes années et il parle comme un livre quand il veut s’en donner la peine. Et brave comme un lion, par-dessus le marché !… Je l’ai vu, moi qui vous parle, attaqué, sans armes, par quatre hommes, et en ayant raison en se servant de la tête des uns pour casser celle des autres !… »

Tout l’équipage le respectait et même lui obéissait. Il avait une manière à lui de se faire bien venir de chacun par quelque petit service. Pour moi, il était excellent, me faisait toujours grand accueil dans sa cuisine, où les plats brillaient comme des sous neufs, sous la cage de son perroquet.

« Venez donc par ici, Hawkins, me disait-il souvent ; venez tailler une bavette avec John Silver. Vous êtes le bienvenu chez lui, fillot. Asseyez-vous et écoutez un peu. Voilà le capitaine Flint, — j’ai baptisé mon perroquet le capitaine Flint, à cause du fameux pirate, — voilà le capitaine Flint qui nous annonce un heureux voyage. N’est-il pas vrai, capitaine ?… »

Là-dessus, le perroquet de se mettre à crier :

« Pièces de huit !… pièces de huit !… pièces de huit !… avec une volubilité étourdissante, jusqu’à ce qu’enfin John Silver jetât son mouchoir sur la cage pour le faire taire.

— Vous voyez cet oiseau, Hawkins ? Il a peut-être deux cents ans ou plus, car les perroquets ne meurent jamais, je crois. Et je ne sais guère que le diable en personne qui ait pu voir autant de tragédies qu’il en a vues. Pensez donc qu’il a navigué avec England, le fameux capitaine England, le pirate. Il a été à Madagascar, à Malabar, à