Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/76

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qu’à ce qu’enfin, glissant le regard dans une ouverture du feuillage, j’aperçus dans une petite clairière, au bord du marais, John Silver et un homme de l’équipage assis côte à côte et causant.

Le soleil tombait d’aplomb sur eux. John Silver avait néanmoins jeté son chapeau à terre et sa large face lisse et blonde, toute luisante de chaleur, était tournée vers l’autre d’un air presque suppliant.

« Camarade, disait-il, c’est uniquement parce que j’ai pour toi une véritable affection, tu peux croire !… Si je ne m’étais pas coiffé de toi, crois-tu que j’aurais pris la peine de t’avertir ?… Tout est fini et tu n’y peux rien… Ce que j’en dis est pour sauver ta tête ; et si quelqu’un de ces sauvages le savait, que deviendrais-je ? Voyons, Tom, dis-le moi un peu ?…

— John Silver répondait l’autre, — et je vis que sa figure était rouge comme braise et que sa voix rauque tremblait d’émotion, — John Silver, vous n’êtes pas un enfant, vous êtes un honnête homme, ou du moins vous en avez la réputation ; vous avez de l’argent, et c’est plus qu’aucun matelot ne peut dire ; vous êtes brave, ou je ne m’y connais pas… Pourquoi vous laisser mener par ce tas de vauriens ?… Allons donc ! un peu de courage !… Pour mon compte, aussi sûr que je suis là, j’aimerais mieux voir tomber mes deux bras que trahir mes devoirs !… »

Il s’arrêta, interrompu par le bruit d’une altercation. Celui-là, du moins, était honnête !… Et voilà qu’au même instant j’allais avoir des nouvelles d’un autre. Au cri de colère qui avait retenti du côté du marais, succéda un cri de rage ; puis un long, un horrible cri de douleur… Les rochers de la Longue-Vue en retentirent. La troupe entière des oiseaux du marécage en fut épouvantée et, s’envolant en désordre, obscurcit l’air pendant plusieurs minutes…

J’avais encore dans les oreilles ce funèbre hurlement de mort, que le silence s’était rétabli et le murmure lointain des flots troublait seul la lourdeur chaude de l’après-midi.

Tom avait bondi comme un cheval sous l’éperon. Quant à John Silver, il n’avait même pas bougé. Il restait à sa place, légèrement appuyé sur sa béquille, observant son compagnon comme un serpent prêt à s’élancer sur sa proie.

« John ! s’écria le matelot en tendant la main vers lui.

— Bas les pattes !… répliqua John Silver, sautant d’un mètre en arrière avec la vitesse et la légèreté d’un gymnaste accompli.

— Bas les pattes si vous voulez, reprit l’autre. Que vous reproche donc votre conscience, que vous ayez peur de moi ?… Mais, au nom du ciel, dites-moi quel était ce cri ?

— Ce cri ? répondit Silver souriant, mais toujours sur ses gardes… (Son œil n’était pas plus grand qu’une tête d’épingle sur sa large