Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/77

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face ; mais il brillait comme un éclat de verre.) Ce cri ?… je pense que c’était le cri de mort d’Alan. »

À ces mots, le pauvre Tom se redressa, pareil à un héros.

« Alan ! s’écria-t-il. Alors Dieu ait son âme !… C’était un brave marin et un honnête homme ?… Quant à vous, John Silver, vous avez été mon camarade, mais vous ne l’êtes plus. Si je dois mourir comme un chien, je mourrai faisant mon devoir !… Vous avez tué Alan, n’est-ce pas ?… Eh bien, tuez-moi aussi, si vous pouvez. Mais vous trouverez à qui parler je vous en préviens !…

Là-dessus, le brave garçon attendit un instant pour voir ce que répondrait Silver, mais, voyant que l’autre ne bougeait pas, il lui tourna le dos et se dirigea vers la grève.

Il ne devait pas aller loin. Saisissant de sa main gauche une branche d’arbre, pour se tenir en équilibre, John Silver prit sa béquille de la droite et avec un cri de rage fit tournoyer dans l’air cet arme inattendue. Elle s’abattit la pointe en avant sur le pauvre Tom, et le frappa, avec une violence inouïe, juste entre les deux épaules, en pleine épine dorsale. Il leva les bras, exhala un gémissement sourd et tomba la face en avant.

Était-il seulement étourdi ? avait-il les reins cassés du coup ?… c’est ce qu’on ne saura jamais. Il n’eut pas le temps de revenir à lui. John Silver, agile comme un singe, même sans sa béquille, bondit sur lui et à deux reprises lui plongea son couteau dans le dos. De mon embuscade, je l’entendais souffler comme un fauve tandis qu’il frappait.

J’ignore si j’avais perdu complètement connaissance dans la terreur où me plongea cet horrible spectacle ; mais pendant les quelques minutes qui suivirent, tout se confondit devant moi comme dans un brouillard. John Silver et les oiseaux du ciel et le haut sommet de la Longue-Vue tournoyaient pêle-mêle à mes yeux ; mes oreilles bourdonnaient : je n’avais plus conscience de la réalité.

Quand je revins à moi, le monstre s’était relevé, la béquille sous le bras et le chapeau en tête. À ses pieds, Tom gisait sans mouvement. Mais le meurtrier ne le regardait même pas. Il était occupé à essuyer son coutelas sur une poignée d’herbe. Autour de lui le soleil impassible brillait sur le marécage fumant et sur le sommet des hauteurs. Il semblait presque impossible de croire qu’un meurtre venait d’être commis, une vie humaine tranchée dans sa fleur, à l’instant et sous mes yeux.

Cependant John Silver mit la main à sa poche, y prit un sifflet et en tira un appel qui résonna dans les airs. Le sens de ce signal m’échappait, cela va sans dire ; mais il réveilla mes terreurs. D’autres brigands allaient arriver, qui me découvriraient peut-être. Ils avaient déjà assassiné deux braves gens ; mon tour ne viendrait-il pas ?