Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/83

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mais il fut obligé d’y consentir et nous débarquâmes. Pendant douze jours, nous ne fîmes que chercher, sans rien trouver ; mes camarades étaient furieux contre moi ; un soir ils prirent le parti de revenir à bord, mais sans moi. « Benjamin Gunn, me dirent-ils, voilà un fusil, une bêche et une pioche ; tu vas rester ici, garçon, et chercher l’argent de Flint. » Et ils m’abandonnèrent. Il y a trois ans que je suis ici, trois ans que je n’ai pas eu une bouchée de pain à me mettre sous la dent… Mais regarde-moi, Jim, regarde-moi bien… Est-ce que j’ai l’air d’un simple matelot ? Non, n’est-ce pas ? Et je ne le suis pas non plus !…

Ici il cligna de l’œil en me pinçant le bras.

« Tu peux le dire au squire, Jim, reprit-il, tu peux lui répéter mes propres paroles. « — Et il ne l’est pas non plus, lui diras-tu. Pendant trois ans il a habité l’île, le jour et la nuit, par le beau et le mauvais temps ; pensant souvent à sa vieille mère et se demandant si elle est encore vivante (c’est ainsi que tu diras) ; mais pensant aussi à autre chose (diras-tu) et s’occupant d’autre chose… » Et alors tu le pinceras comme ceci…

Et il me pinça de nouveau, en me regardant d’un air malin. Puis il continua :

« — Ben Gunn est un brave homme (diras-tu), il sait faire la différence entre un vrai gentleman et un de ces chevaliers de fortune, comme ils s’appellent, l’ayant été lui-même… »

Je l’arrêtai pour lui déclarer que je ne comprenais pas un mot de tout ce qu’il me contait là.

— Peu importe, du reste, ajoutai-je. La question est de savoir comment je reviendrai à bord.

— C’est là ce qui t’embarrasse ? me répondit-il. Eh bien, et mon bateau, que j’ai fait de ces propres mains que voilà ?… Je le tiens à l’abri sous la roche blanche… S’il faut en arriver là, nous tenterons la chose quand la nuit sera tombée… Mais qu’est ceci ? fit-il tout à coup.

Quoique le soleil fût encore sur l’horizon pour deux heures au bas mot, tous les échos de l’île venaient de répercuter un coup de canon.

— La bataille a commencé ! m’écriai-je. Suivez-moi !… »

Oubliant toutes mes terreurs, je me mis à courir vers le mouillage, suivi de près par l’habitant de l’île.

— À gauche, à gauche, appuie à gauche, camarade Jim, disait-il en trottant légèrement, sous les arbres !… Voici l’endroit où j’ai tué une première chèvre !… Elles n’y viennent plus maintenant, elles ont trop grand’peur de Ben Gunn !… Et voici le cimetière, ces monticules espacés sur la droite. »

Ainsi il bavardait, sans attendre d’ailleurs ni recevoir de réponse.