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MON AVENTURE À TERRE

parle, et si un de ces brutaux le savait, que deviendrais-je, Tom ?… hein, dis, que deviendrais-je ?

— Silver, répliqua l’autre (et non seulement il avait le rouge au visage mais il parlait avec la raucité d’un corbeau, et sa voix frémissait comme une corde tendue), Silver, tu es âgé, tu es honnête, ou tu en as du moins la réputation ; de plus tu possèdes de l’argent, à l’inverse d’un tas de pauvres marins ; et tu es brave, si je ne me trompe. Et tu vas venir me raconter que tu t’es laissé entraîner par ce ramassis de vils sagouins ? Non ! ce n’est pas possible ! Aussi vrai que Dieu me voit, j’en mettrais ma main au feu. Quant à moi, si je renie mon devoir…

Un bruit soudain l’interrompit. Je venais de découvrir en lui l’un des matelots honnêtes, et voici qu’en cet instant un autre me révélait son existence. Au loin sur le marigot avait éclaté un brusque cri de colère, aussitôt suivi d’un second ; et puis vint un hurlement affreux et prolongé. Les rochers de la Longue-Vue le répercutèrent en échos multipliés ; toute la troupe des oiseaux de marais prit une fois de plus son essor et assombrit le ciel dans un bruit d’ailes tumultueux ; et ce cri d’agonie me résonnait toujours dans le crâne, alors que le silence régnait à nouveau depuis longtemps et que la rumeur des oiseaux redescendants et le tonnerre lointain du ressac troublaient seuls la touffeur de l’après-midi.

Tom avait bondi au bruit, comme un cheval sous l’éperon ; mais Silver ne sourcilla pas. Il restait en place, appuyé légèrement sur sa béquille, surveillant son interlocuteur, comme un reptile prêt à s’élancer.

— John, fit le matelot en avançant la main.

— Bas les pattes ! ordonna Silver, qui sauta