Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. Varlet.djvu/123

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
119
MON AVENTURE À TERRE

J’ignore ce qu’est un évanouissement véritable, mais je sais que pour une minute tout ce qui m’entourait se perdit à ma vue dans un brumeux tourbillon : Silver, les oiseaux et la montagne ondulaient en tous sens devant mes yeux, et un tintamarre confus de cloches et de voix lointaines m’emplissait les oreilles.

Quand je revins à moi, l’infâme, béquille sous le bras, chapeau sur la tête, s’était ressaisi. À ses pieds, Tom gisait inerte sur le gazon ; mais le meurtrier n’en avait nul souci, et il essuyait à une touffe d’herbe son couteau sanglant. Rien d’autre n’avait changé, le même soleil implacable brillait toujours sur le marais vaporeux et sur les cimes de la montagne. J’avais peine à me persuader qu’un meurtre venait d’être commis là et une vie humaine cruellement tranchée un moment plus tôt, sous mes yeux.

John porta la main à sa poche, et y prit un sifflet dont il tira des modulations qui se propagèrent au loin dans l’air chaud. J’ignorais, bien entendu, la signification de ce signal ; mais il m’angoissa. On allait venir. On me découvrirait peut-être. Ils avaient déjà tué deux matelots fidèles : après Tom et Alan, ne serait-ce pas mon tour ?

À l’instant j’entrepris de me dégager, et rampai en arrière vers la partie moins touffue du bois, aussi vite et silencieusement que possible. J’entendais les appels qu’échangeaient le vieux flibustier et ses camarades, et la proximité du danger me donnait des ailes. Sitôt sorti du fourré, je courus comme je n’avais jamais couru. Peu m’importait la direction, pourvu que ma fuite m’éloignât des meurtriers. Et durant cette course la peur ne cessa de croître en moi jusqu’à m’affoler presque.

Personne, en effet, pouvait-il être plus irrémédia-