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L’ÎLE AU TRÉSOR

çant sur ses drisses, me découvrit le côté sous le vent du pont arrière.

Les deux gardiens étaient là : Bonnet-Rouge, étendu sur le dos, raide comme un anspect, les deux bras étalés comme ceux d’un crucifix, et les lèvres entrouvertes dans un rictus qui lui découvrait les dents ; Israël Hands, accoté aux bastingages, le menton sur la poitrine, les mains ouvertes à plat devant lui sur le pont, et le visage, sous son hâle, aussi blanc qu’une chandelle de suif.

Un moment, le navire se débattit et se coucha comme un cheval vicieux ; les voiles tiraient tantôt d’un bord, tantôt de l’autre, et le gui, ballant de-ci delà, faisait grincer le mât sous l’effort. De temps à autre, un nuage d’embrun jaillissait par-dessus le bastingage, et l’avant du navire piquait violemment dans la lame : ce grand voilier se comportait beaucoup plus mal que mon coracle rustique et biscornu, à présent au fond de l’eau.

À chaque sursaut de la goélette, Bonnet-Rouge glissait de côté et d’autre ; mais, chose hideuse à voir, ni sa posture, ni le rictus qui lui découvrait les dents, n’étaient modifiés par ces déplacements brutaux. À chaque sursaut également, on voyait Hands s’affaisser davantage sur lui-même et s’aplatir sur le pont : ses pieds glissaient toujours plus loin, et tout son corps s’inclinait vers la poupe, de sorte que petit à petit son visage me fut caché, et je n’en vis plus à la fin qu’une oreille et le bout hirsute d’un favori.

À ce moment, je remarquai autour d’eux des taches de sang sur le plancher, et commençai à croire que les deux ivrognes s’étaient massacrés l’un l’autre dans leur fureur homicide.

Je regardais ce spectacle avec étonnement, lorsque dans un intervalle de calme où le navire se te-