Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/114

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très tôt. Nous nous étions mis récemment à passer les soirées en jouant aux cartes, – nouveau symptôme que notre hôte s’ennuyait profondément de l’existence de Durrisdeer ; – et nous jouions depuis peu de temps, lorsque Mylord quitta sans bruit sa place au coin du feu et partit sans rien dire se réchauffer dans son lit. Les trois personnes restantes n’avaient ni sympathie ni politesse à échanger ; pas un de nous ne serait demeuré un instant pour en obliger un autre ; néanmoins, par la force de l’habitude, et comme on venait de distribuer les cartes, nous continuâmes la partie. Je dois dire que nous nous couchions tard ; et bien que Mylord se fût retiré plus tôt qu’à son ordinaire, la pendule avait déjà dépassé minuit, et les domestiques étaient au lit depuis longtemps. Je dois dire également que le Maître, bien que je ne l’aie jamais vu influencé par la boisson, avait bu abondamment, et se trouvait peut-être un peu échauffé sans toutefois qu’il y parût.

En tout cas, il recourut alors à une de ses transitions ; et, sitôt la porte refermée derrière Mylord, et sans le moindre changement de ton, il passa de la conversation polie habituelle à un torrent d’injures.

– Mon cher Henry, c’est à vous de jouer, venait-il de dire ; – et il continua : – il est vraiment curieux de vous voir, jusque dans cette mince affaire d’un jeu de cartes, déployer une telle rusticité. Vous jouez, Jacob, comme un vieux laird à bonnet, ou un matelot dans une taverne. Même pesanteur, même avidité mesquine, cette lenteur d’hébété qui me fait rager ; il est bizarre que j’aie un pareil frère. Même Bouts-Carrés montre une certaine vivacité lorsqu’il craint pour son enjeu ; mais toute la fastidiosité de jouer avec vous, je manque de mots pour l’exprimer.

Mr. Henry continua de regarder ses cartes, comme s’il méditait longuement quelque coup ; mais il avait l’esprit ailleurs.

– Bon Dieu ! ce sera-t-il jamais fini ? s’écria le Maître. Quel lourdaud. Mais que vais-je embarrasser d’expressions françaises quelqu’un perdu dans une telle ignorance ? Un lourdaud, mon cher frère, est