Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/115

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comme qui dirait un colas, un benêt, un croûton, un individu sans grâce, sans légèreté ni alacrité ; aucun talent de plaire, aucun brillant naturel : celui que vous pourrez voir quand vous le voudrez, en regardant un miroir. Je vous dis cela pour votre bien, je vous assure ; et en outre, Bouts-Carrés – (et il me regarda en étouffant un bâillement) – c’est une de mes distractions en ce lieu d’ennui, de vous retourner, vous et votre maître, comme des châtaignes au feu. Je prends un vif plaisir à votre cas, et observe que le surnom, tout grossier qu’il soit, a toujours le pouvoir de vous faire faire la grimace. Mais j’ai parfois plus de difficulté avec ce cher garçon-ci, qui semble s’être endormi sur ses cartes. Ne voyez-vous pas l’application de l’épithète que je viens de vous gloser, mon cher Henry ? Je vais vous la faire voir. Par exemple, avec toutes ces solides qualités que j’ai plaisir à vous reconnaître, je ne sache pas de femme qui ne me préfère, – ni, je pense (poursuivit-il avec la plus suave délibération) – je pense, qui ne continue à me préférer.

Mr. Henry déposa ses cartes. Il se leva très lentement, sans cesser de paraître absorbé en de profondes réflexions.

– Lâche ! dit-il doucement, comme à lui-même. Et puis, sans nulle hâte ni violence spéciales, il frappa le Maître sur la bouche.

Le Maître bondit et sembla transfiguré. Je ne le vis jamais aussi beau.

– Un coup ! s’écria-t-il. Je n’en recevrais pas du Dieu Tout-Puissant !

– Baissez la voix, dit Mr. Henry. Voulez-vous donc que votre père intervienne de nouveau en votre faveur ?

– Messieurs ! Messieurs ! m’écriai-je, tâchant de m’interposer.

Le Maître me prit par l’épaule, me tint à bout de bras, et s’adressant toujours à son frère :

– Savez-vous ce que cela signifie ? demanda-t-il.

– Ce fut le geste le plus délibéré de ma vie, répliqua Mr. Henry.