Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/117

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marchez devant. Je viens derrière vous avec ceci. Et tout en parlant, il fit étinceler la lame.

Je pris les flambeaux et le précédai ; – je donnerais ma main droite pour racheter cette démarche ; mais un couard ne peut être qu’esclave, et tout en marchant, mes dents s’entrechoquaient. Il en était comme il l’avait dit : l’air, sans un souffle, était saisi par une constriction glacée, et tandis que nous avancions à la clarté des bougies, les ténèbres faisaient comme un toit par-dessus nos têtes. Pas un mot ne fut prononcé : on n’entendait d’autre bruit que le craquement de nos pas sur le chemin gelé. Le froid de la nuit tombait sur moi comme une seillée d’eau ; je ne tremblais pas que de terreur ; mais mes compagnons, nu-tête comme moi, et venant de la salle chauffée, ne semblaient pas même s’apercevoir du changement.

– Voici l’endroit, dit le Maître. Déposez les bougies.

J’obéis, et les flammes montèrent aussi droites que dans une chambre, au milieu des ramures givrées. Je regardai les deux frères prendre leurs places.

– J’ai un peu de lumière dans les yeux, dit le Maître.

– Je vous donnerai tous les avantages, répliqua Mr. Henry, en se déplaçant, car je crois que vous allez mourir.

Sa voix était plus triste qu’autre chose, mais avec une sonorité spéciale.

– Henry Durie, dit le Maître, deux mots avant de commencer. Vous êtes un escrimeur, vous savez tenir un fleuret ; mais vous ne savez pas quel changement cela fait de tenir un sabre ! Et à ce que je pense, c’est vous qui tomberez. Mais voyez la force de ma situation ! Si vous tombez, je m’évade de ce pays et vais rejoindre mon argent. Si je tombe, qu’advient-il de vous ? Mon père, votre femme, – qui est en galanterie avec moi, vous le savez très bien – comme ils me vengeront ! Aviez-vous pensé à cela, mon cher Henry ?

Il regarda son frère en souriant, puis fit un salut de salle d’armes.