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VI

Ce qui se passa durant la deuxième absence du Maître


La grave maladie qui se déclara chez mon maître le lendemain matin fut le dernier malheur sans compensation qui le frappa ; et cette maladie même fut peut-être un bienfait déguisé, car nulle peine physique ne pouvait égaler les souffrances de son esprit. Mme Henry et moi veillions à son chevet. Mon vieux lord venait de temps en temps aux nouvelles, mais en général sans franchir le seuil. Une seule fois, je me souviens, alors que tout espoir était perdu, il s’avança jusqu’auprès du lit, considéra le visage de son fils, et s’en alla, avec un geste particulier de la tête et du bras levé, qui me revient à la mémoire comme quelque chose de tragique, tant il exprimait de douleur et de dédain pour les choses sublunaires. Mais la plupart du temps, Mme Henry et moi restions seuls dans la chambre, nous relayant la nuit, et, le jour, supportant notre compagnie réciproque, car ces veillées étaient plutôt lugubres. Mr. Henry, une serviette liée autour de son crâne rasé, s’agitait sans interruption dans son lit, qu’il frappait de ses poings. Sa langue n’arrêtait pas ; sa voix ne cessait de fluer, comme une rivière, à m’en donner presque la nausée. Chose remarquable, et pour moi mortifiante à l’excès, il parlait sans cesse de mesquineries vulgaires : allées et venues, chevaux – qu’il ordonnait de seller pour lui, se figurant peut-être (pauvre âme !) qu’il pouvait fuir sa maladie – jardinages, filets à saumon, et (ce qui me faisait le plus