Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/185

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sation était brillante. Maintes fois, il m’exprima sa surprise d’avoir pu dédaigner si longtemps ma société. « Mais voyez-vous, ajoutait-il, nous étions dans le camp opposé. Nous le sommes encore aujourd’hui ; mais ne parlons jamais de cela. Je ne vous estimerais pas à beaucoup près autant, si vous n’étiez aussi fidèle à votre maître. » Il faut considérer qu’il me semblait tout à fait hors d’état de nuire ; et que c’est pour nous une des formes les plus attrayantes de la flatterie que de voir rendre (après de longues années) une justice tardive à notre caractère et à notre rôle. Mais je ne songe pas à m’excuser. J’étais en faute, de me laisser cajoler par lui, et je crois bien que le chien de garde allait s’assoupir tout à fait, lorsqu’il eut un brusque réveil.

Je dois dire que l’Indien ne cessait de frôler çà et là par la maison. Il ne parlait jamais, sauf dans son patois, et avec le Maître ; il marchait sans bruit ; et on le rencontrait toujours où on l’attendait le moins, absorbé dans ses méditations ; il sursautait à votre approche et avait l’air de se moquer de vous par une de ses révérences jusqu’à terre. Il paraissait si paisible, si frêle, et tellement perdu dans ses pensées, que j’avais fini par le croiser sans faire attention à lui, voire en m’apitoyant sur le sort de cet innocent exilé si loin de son pays. Cependant il n’est pas douteux que l’individu ne cessait d’être aux écoutes ; et ce dut être grâce à son habileté et à ma confiance que notre secret fut connu du Maître.

C’était par une nuit tempétueuse, après souper, et nous étions plus gais qu’à l’ordinaire, lorsque le coup tomba sur moi.

– Tout cela est très joli, dit le Maître, mais nous ferions mieux de boucler nos valises.

– Hé quoi ! m’écriai-je. Allez-vous partir ?

– Nous partons demain matin. Pour le port de Glasgow d’abord, pour la province de New York ensuite.

Je poussai un gémissement.

– Oui, reprit-il, je me vantais, j’avais dit une