Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/190

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et finissait à peu près ainsi :

Aujourd’hui quand l’aurore se lève au front de la lande,
Déserte est la maison, et la pierre du foyer est froide ;
Qu’elle reste déserte, aujourd’hui que ses habitants s’en sont tous allés,
Les chers cœurs, les cœurs fidèles, qui aimaient le lieu d’autrefois.

J’ai toujours été incapable d’apprécier le mérite de ces vers, car ils furent auréolés pour moi par la mélancolie de l’air, et ils m’étaient alors chantés (ou plutôt modulés) par un maître chanteur, et en un temps si propice. Il me regarda quand il eut terminé, et vit mes yeux humides.

– Ah ! Mackellar, dit-il, croyez-vous donc que je n’ai jamais un regret ?

– Je ne crois pas que vous seriez un aussi méchant homme, si vous n’aviez toute l’étoffe voulue pour être bon.

– Non, pas toute, dit-il, pas toute. Vous vous trompez là-dessus, mon évangéliste. La manie de ne pas vouloir de lacunes ! – Mais je crus l’entendre soupirer en remontant dans la chaise.

Tout au long du jour nous voyageâmes par ce même temps déplorable : le brouillard nous enserrait étroitement, les cieux ne cessaient de pleurer sur ma tête. La route parcourait des ondulations marécageuses, où l’on n’entendait d’autre bruit que le cri des oiseaux sauvages dans la bruyère mouillée et le déversement des torrents gonflés. Parfois, je me laissais aller au sommeil, et me trouvais plongé presque aussitôt dans quelque sinistre cauchemar, dont je m’éveillais strangulé d’horreur. Parfois, quand la côte était dure et que les roues tournaient lentement, je surprenais les voix de l’intérieur, parlant dans cet idiome tropical, pour moi aussi peu articulé que le gazouillis des oiseaux. Parfois, lors des montées plus longues, le Maître mettait pied à terre et marchait à mon côté, presque sans rien dire. Et tout le temps, éveillé comme