Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/192

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nous fûmes bientôt pour déjeuner ensemble à l’auberge, et où (comme si le diable s’en mêlait) nous trouvâmes un navire prêt à mettre à la voile. Nous retînmes nos places dans la cabine, et deux jours plus tard, nous apportions nos effets à bord. Ce navire, qui s’appelait le Nonesuch, était très vieux et trop bien nommé. Au dire de chacun, ce voyage devait être son dernier ; les gens hochaient la tête sur les quais, et plusieurs étrangers m’arrêtèrent dans la rue pour m’avertir que ce bateau était pourri comme un fromage, beaucoup trop chargé, et qu’il sombrerait infailliblement à la première tempête. Nous fûmes en conséquence les seuls passagers. Le capitaine Mac Murtrie était un homme taciturne et méditatif, avec l’accent gaélique de Glasgow ; les matelots, des hommes de mer grossiers et ignorants ; aussi le Maître et moi en fûmes-nous réduits à notre compagnie réciproque.

Le Nonesuch sortit de la Clyde par un bon vent. La première semaine, le beau temps nous favorisa, et nous progressâmes heureusement. Je me découvris (et cela m’étonna) les qualités d’un marin né, en ce sens que je n’avais pas le mal de mer ; toutefois, j’étais loin de jouir de ma santé habituelle. Grâce au balancement du navire sur les lames, ou bien à l’air confiné, ou aux salaisons, ou au tout réuni, je me sentais l’âme assombrie et l’humeur péniblement irritée. La nature de la mission que je remplissais sur ce navire devait y contribuer ; mais pas plus ; car le mal (quel qu’il fût) provenait de mon entourage ; et si le navire n’en était pas responsable, c’était donc le Maître. La haine et la crainte sont de mauvais compagnons de lit ; mais (soit dit à ma honte) je les ai savourées en d’autres lieux, je me suis couché et levé, j’ai mangé et bu avec elles, mais jamais, auparavant ni plus tard, je n’ai été si complètement empoisonné, corps et âme, que je le fus à bord du Nonesuch. J’avoue sans fard que je reçus de mon ennemi l’exemple de la longanimité ; dans nos pires jours il déploya la patience la plus allègre, entretenant la conversation avec moi aussi longtemps que je le