Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/212

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– J’aurai dû me rappeler quel prestige possède un titre dans un trou de ce genre-ci, dit le Maître, blanc comme un drap de lit : – n’importe l’injustice qui l’a procuré. Il ne me reste donc plus qu’à mourir à la porte de Mylord, où mon cadavre fera un très joyeux ornement.

– Assez de vos simagrées, s’écria Mylord. Vous savez fort bien que telle n’est pas mon intention ; je ne veux que nous protéger, moi contre vos calomnies, et ma demeure contre vos intrusions. Je vous donne à choisir. Ou bien je paye votre passage en Europe sur le premier bateau, et vous pourrez reprendre vos occupations auprès du gouvernement, quoique, Dieu sait ! je préférerais vous voir mendier sur les grand-routes ! Ou bien, si cela ne vous plaît pas, restez ici et soyez le bienvenu ! je me suis informé du coût minimum auquel on peut décemment ne pas mourir de faim à New York ; c’est la somme que vous aurez, payée chaque semaine ; et si vous ne connaissez pas de métier manuel susceptible de l’augmenter, il est temps de vous mettre à en apprendre un. La condition est : – que vous ne parliez à aucun membre de ma famille, sauf moi.

Je ne crois pas avoir vu jamais personne aussi pâle que le Maître ; mais il continua de poitriner, et sa bouche ne tremblait pas.

– Je viens ici d’être accueilli par des insultes fort imméritées, dit-il ; insultes auxquelles je n’ai pas la moindre idée d’échapper par la fuite. Donnez-moi votre pitance ; je la reçois sans rougir, car elle est mienne déjà – comme la chemise que vous avez sur le dos ; et je tiens à rester ici jusqu’à ce que ces messieurs me comprennent mieux. Déjà ils doivent deviner le pied fourchu, puisque, avec tout votre prétendu soin de l’honneur de la famille, vous vous faites un jeu de la dégrader en ma personne.

– Tout cela est très joli, dit Mylord ; mais pour nous qui vous connaissons depuis longtemps, soyez sûr que cela ne signifie rien. Vous choisissez le parti que vous croyez devoir vous être le plus avantageux. Prenez-le, si possible, en silence ; le silence vous