Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/221

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lar ! si vous me faisiez cette offre pour l’amour de moi, avec quel plaisir je me jetterais dessus.

– Et toutefois, m’empressai-je de répondre, – je rougis de le dire, mais je ne puis vous voir dans cette misérable demeure sans vous plaindre. Ce n’est pas là mon unique sentiment, ni le principal ; toutefois, je l’éprouve ! Je serais heureux de vous voir délivré. Je ne vous fais pas mon offre pour l’amour de vous, loin de là ; mais, comme Dieu me voit – et j’en suis émerveillé : – sans la moindre inimitié.

– Ah ! dit-il, me tenant toujours les épaules, et me secouant tout doucement, vous m’estimez plus que vous ne croyez. Et j’en suis émerveillé, ajouta-t-il, en reprenant ma phrase et, je crois, mon intonation. – Vous êtes un honnête homme, et c’est pour ce motif que je vous épargne.

– Vous m’épargnez ? fis-je.

– Je vous épargne, répéta-t-il, en me lâchant et se retournant. Puis, me faisant face de nouveau : – Vous ne savez pas encore ce dont je suis capable, Mackellar ! Vous imaginiez-vous que j’avais avalé ma défaite ? Tenez, ma vie a été une succession de revers indus. Ce fou de prince Charlie, m’a fait manquer une affaire du plus bel avenir : là tomba ma fortune pour la première fois. À Paris, j’avais une fois de plus le pied sur l’échelle ; cette fois-là, il s’agit d’un accident : une lettre s’égare entre les mains qu’il ne fallait pas, et me revoilà sur le pavé. Une troisième fois, j’avais trouvé mon fait ; je me ménageai une place dans l’Inde avec des soins infinis ; et puis Clive arrive, mon rajah est par terre, et j’échappe à la catastrophe, tel un nouvel Énée, avec Secundra Dass sur mon dos. Trois fois j’ai mis la main sur la plus haute situation ; et j’ai à peine quarante-cinq ans. Je connais le monde comme bien peu le connaîtront au jour de leur mort : – la cour et les camps, l’Orient et l’Occident ; je sais où aller, j’aperçois mille détours. Me voici arrivé en pleine possession de mes moyens, robuste de santé, d’ambition peu commune. Eh bien, tout cela, j’y renonce ; peu m’importe si je meurs et que le monde n’entende