Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/253

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détail de leurs maux ultérieurs, je l’épargne au lecteur de ce récit déjà trop prolongé. Il suffit de dire que lorsque à la fin une nuit se fut passée sans malheur et qu’ils respirèrent de nouveau, dans l’espoir que l’assassin avait abandonné la poursuite, Secundra et Mountain se trouvaient seuls. Le trafiquant est intimement persuadé que leur invisible ennemi était un guerrier de sa connaissance, qui l’avait épargné par faveur. Que cette grâce s’étendît à Secundra, il l’explique par l’hypothèse que l’Oriental passait pour insensé ; à cause d’abord que, au milieu des horreurs de la fuite et alors que les autres jetaient armes et vivres, Secundra ne cessa de marcher courbé sous le poids d’une pioche ; ensuite parce, dans les derniers jours, et avec une volubilité extrême, il se parlait sans arrêt à lui-même dans sa propre langue. Mais il avait toute sa raison quand il revenait à l’anglais.

– Vous croire il sera parti tout à fait ? demanda-t-il, lorsqu’ils se furent si heureusement éveillés sains et saufs.

– Je prie Dieu qu’il en soit ainsi, je crois, j’espère qu’il en est bien ainsi, avait répliqué Mountain de façon presque incohérente quand il me décrivit la scène.

Et en fait il était démoralisé au point que jusqu’à cette heure où il nous rencontra, le lendemain matin, il se demandait s’il n’avait pas rêvé, ou si c’était bien un fait, que Secundra, aussitôt après cette réponse et sans dire un mot de plus, était retourné sur ses pas, face à ces solitudes de l’hiver et de la faim, par un chemin dont chaque étape avait pour jalon un cadavre mutilé.